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[Valais] Un nouveau magazine ratisse du centre-gauche à l’extrême-droite

Article trouvé sur renverse.co

Issu d’un blog qui se présente comme « critique et libertaire », le magazine 1Dex Mag recrute certains de ses rédacteurs parmi la droite réactionnaire et jusque dans les milieux fascistes valaisans. Cette alliance qui peut sembler a priori paradoxale se comprend mieux lorsqu’on sait que depuis 5 ans, ce blog contribue à alimenter la peur irrationnelle d’une invasion de l’Europe par l’islam, et à renforcer ainsi un racisme anti-musulmans qui s’exprime d’une manière toujours plus violente et déshinibée dans les milieux politiques et médiatiques. Au moment où cet article était en cours de rédaction, la presse romande a révélé que le gouvernement valaisan a recouru à un consultant externe connu pour ses propos néo-nazis. Les deux affaires ne sont pas sans lien entre elles.

Ce 1er décembre, un nouveau magazine a fait son apparition en Valais : 1Dex Mag

Présentée en conférence de presse, sa sortie a été largement couverte par les journaux et les radios du canton.

Ce magazine imprimé reprend le nom du blog 1dex.ch qui a été lancé en 2011 sous ce slogan : « Pour un Valais critique et libertaire ». S’il n’a jamais été possible de comprendre ce que ses initiateurs ont voulu dire par ce second adjectif, l’ambition critique du blog est quant à elle plus évidente : on y trouve un traitement de l’information locale qui diffère souvent de celui qu’assène jour après jour le quotidien unique Le Nouvelliste, notamment à propos des affaires politico-financières qui secouent le canton (Giroud, Verbier, etc.). En cela, l’1Dex a insufflé une bouffée d’air frais en Valais.

Depuis 5 ans, le plumitif en chef de ce blog est un élu socialiste, l’avocat Stéphane Riand, qui s’évertue à traiter les magouilles de l’oligarchie au pouvoir avec une énergie et une détermination qui lui ont valu d’être boudé par les médias valaisans. Il y aurait eu là de quoi attirer une certaine sympathie, si ce monsieur ne faisait preuve une incontinence verbale et d’une infatuation qui rendent son propos souvent inintelligible et imperméable à toute critique (les réponses aux objections se résument la plupart du temps à « Lisez tout ce que j’ai déjà écrit ! » ou « Lisez ce que je vais écrire demain ! »). La critique est de plus desservie par une tendance à la répétition à l’infini des mêmes lamentations sur la fin d’un supposé « Etat de droit », dont le blog déplore un jour qu’il a disparu, pour demander le lendemain naïvement sa sauvegarde inconditionnelle.

Grâce à l’1Dex, le Valais « est Charlie »

Le principal problème du blog ne réside cependant pas dans la personnalité de son principal fondateur, par ailleurs adulé par un petit cercle d’admirateurs qui lui donnent volontiers du « Maître ». On y trouve tout et n’importe quoi, allant du meilleur au pire en passant par une bonne dose d’articles insignifiants, avec en majeure partie des textes pompés intégralement d’autres sites web sans aucune indication du lien d’origine. Depuis janvier 2015, la tendance des articles publiés a sensiblement évolué vers une posture de type charliste [1] et laïciste à la française, cédant aux sirènes de l’islamophobie ambiante. A côté de certaines analyses à contre-courant [2] des attentats de Paris et du climat idéologique qui a suivi, on trouve des textes nauséabonds et paranoïaques qui crient à l’invasion de l’Europe par l’islam et en appellent à défendre la « civilisation » contre la « barbarie » [3]. Les immigrés musulmans sont souvent présentés comme des envahisseurs [4] qui menacent « nos valeurs » [5], « nos femmes » [6], « notre Etat de droit » [7], l’1Dex oubliant dans sa paranoïa que ce sont des armées européennes qui envahissent des pays musulmans et non le contraire.

Cette posture néo-civilisatrice semble séduire entre autres un vieil anarchiste valaisan, Narcisse Praz, qui quand il s’agit de l’islam ne parvient pas à faire la différence entre des croyants et des terroristes en puissance, et confond blasphème avec humiliation raciste [8]. Après avoir traité les féministes genevoises de mal baisées dans les années 1970 dans ses journaux La Pilule et Le Crétin des Alpes, et après avoir assimilé les homosexuels à des pédophiles ces dernières années, il entreprend aujourd’hui d’expliquer à des femmes du Valais comment elles doivent s’habiller et comment elles doivent se libérer. Se sentant dans l’1Dex comme un poisson dans l’eau, et se réfugiant derrière son droit à critiquer toutes les religions, ce libertaire admirateur de Caroline Fourest [9] tient à peu de choses près le même discours que ceux qui défendent l’adoption d’une loi humiliante imposant des manières de se vêtir. Cela n’empêche pas de lire parfois sur le même blog des plaidoyers intéressants [10] contre cette même initiative populaire valaisanne lancée par l’UDC contre le port du « voile » à l’école, mais il demeure que la ligne générale du blog s’est fait sentir de plus en plus clairement. Il y a six mois encore, son rédacteur en maître s’émerveillait devant un éditorial islamophobe de Charlie Hebdo aux relents fascistes et à la teneur franchement conspirationniste [11] (« Qu’est-ce que je fous là ? », 30 mars 2016).

Confusionnisme à la sauce valaisanne

La dénonciation explicite du fascisme semble convaincre l’1Dex essentiellement lorsqu’il est attribué aux islamistes. Sur la masse d’articles publiés depuis 5 ans, on peine à trouver des dénonciations de la persécution étatique et policière des réfugiés en Valais. En revanche on pouvait y lire voici quelques semaines un éloge inconditionnel de la candidature d’un flic au Conseil d’Etat [12], ainsi qu’un article défendant la nouvelle Loi sur le renseignement [13]. Les affaires politiques à scandale, qui y sont dénoncées avec véhémence, donnent lieu à des appels aussi incessants que vains à la vertu politicienne, ce qui séduit plusieurs commentateurs aux thèses clairement soraliennes qui trouvent facilement leur compte dans cette rhétorique du « tous pourris » du moment qu’ils peuvent continuer d’y déverser leur bile sur les immigrés.

Certes, on peut lire régulièrement sur l’1Dex un discours clairement anti-UDC, mais il est permis de douter de la sincérité et de la durabilité de cette ligne éditoriale du moment qu’un certain Slobodan Despot y intervient comme rédacteur invité [14]. Ce dernier, proche des thèses du mouvement d’extrême-droite Egalité et Réconciliation, n’est autre que le conseiller en communication d’Oskar Freysinger, le ministre UDC et sympathisant néo-nazi qui dirige le Département de la formation et de la sécurité. Par ailleurs, on peut noter que la compagne de Despot, intime du couple Freysinger, est la secrétaire d’administration de l’1Dex.

Si on ajoute à cela quelques articles récents repris par l’1Dex de l’intellectuel français Robert Chaudenson, qui défendent les bienfaits de la peine de mort [15] et le droit d’appeler un « nègre » un « nègre » [16], on doit constater que le blog « critique et libertaire » valaisan a largement endossé la posture réactionnaire qui consiste à pourfendre le soi-disant « politiquement correct », ce qui l’apparente, bien qu’en partie seulement, à certains sites d’extrême-droite tels que lesobservateurs.ch.

Un ancien rédacteur des Observateurs, le politicien PDC très nationaliste et hétéro Yannick Buttet, figure d’ailleurs parmi les rédacteurs invités du nouveau magazine 1Dex Mag, aux côtés de Slobodan Despot, de politiciens écologistes et socialistes, ainsi que de personnalités du monde culturel et viticole valaisan. Dans une inquiétante ambiance de « fin des idéologies » à l’échelle valaisanne, cette grande synthèse confusionniste semble avoir pour but de placer le nouveau magazine sous le signe de la respectabilité médiatique, stratégie qui au vu de la conférence de presse semble avoir fonctionné. En retour, puisque dans ce monde-là tout se rend, l’1Dex Mag contribue déjà à donner un surcroît de respectabilité à des personnages et à des idées d’extrême-droite, même si c’est à son corps défendant.

Si politiquement, Despot et Riand se situent sur des positions très différentes, il reste que l’un et l’autre contribuent à leur manière à alimenter l’islamophobie ambiante, qu’elle se déploie sous la bannière de l’UDC ou du parti socialiste. Il est d’une parfaite mauvaise foi de brandir, comme le fait Stéphane Riand, l’argument selon lequel l’espace réservé à Despot dans l’1Dex Mag serait cantonné à la seule rubrique littéraire, car il suffit de lire attentivement les textes de Despot pour voir qu’ils sont habilement construits pour faire passer des idées qui n’ont rien d’exclusivement esthétiques.

A l’avenir, pourra-t-on encore lire dans l’1Dex un article tel que celui-ci, qui dénonce les liens qui existent entre l’un de ses rédacteurs, un ministre et les milieux défendant les idées les plus révoltantes qui soient ? : Les si belles fréquentations de l’UDC Valais

Le nazillon, l’écrivain et le survivaliste

Hasard du calendrier, deux jours avant cette conférence de presse, une autre conférence de presse réunissait le ministre Freysinger, son conseiller Despot et l’homme d’affaires Piero San Giorgio, pour parler des « risques » que devra affronter le Valais ces prochaines années et décennies. Fortement imprégné des thèses survivalistes et fascistes, et proche d’Egalité et Réconciliation, San Giorgio a été engagé par le gouvernement valaisan comme consultant externe pour assurer les citoyens de l’imminence de la catastrophe et de la nécessité de mobiliser.

Une fois encore, dans un canton qui étouffe sous le conformisme et l’affairisme, il a fallu une intervention extérieure de la presse romande pour rendre la chose publique et pour que ce consultant soit limogé. Sur la base de ces révélations tirées d’une vidéo en ligne dans laquelle s’expriment San Giorgio et Daniel Conversano, certains des propos qu’il a tenus sur les malades et les handicapés ont été considérés à juste titre comme « nazis » par une membre socialiste du gouvernement valaisan. Pourtant, l’énergie que mettent San Giorgio, Freysinger et Despot à faire croire aux Valaisans que les principaux risques qu’ils encourent auraient d’autres noms que le fascisme et le capitalisme n’a rien d’original et n’est pas l’apanage de la droite politicienne.

L’un des principaux dangers désignés par le consultant sont les migrants, présentés comme des envahisseurs face auxquels il faut se défendre militairement. Cela non plus n’a rien d’original : l’armée suisse elle-même avait organisé l’année dernière un exercice baptisé « Conex 15 » qui prévoyait un tel scénario. Tuer les migrants en masses est déjà pour la Suisse un registre d’action militaire acceptable en dehors de ses frontières, puisqu’elle participe à l’agence Frontex (récemment renommée « Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes ») qui assure cette mission en Méditerranée pour éviter que les migrants n’arrivent jusque dans ce pays. A force de présenter les musulmans comme des barbares dont la raison d’être est d’en attenter à « notre » civilisation, on prépare les conditions d’une telle politique fasciste à l’intérieur même de nos frontières, où les migrants sont déjà enfermés dans des camps et persécutés par la police pour la seule faute d’avoir cherché à fuir la misère et les guerres. En Valais, le ministre de la formation et de la sécurité se plait à ajouter à cette persécution ordinaire sa touche de cruauté personnelle, lui qui par sa double casquette ministérielle a pu appeler le corps enseignant à la délation des écoliers sans papiers, et qui récemment vient de donner pour réponse aux migrants incarcérés qui revendiquent des conditions de détention salubres : « La prison, ce n’est pas le Club Med, que je sache ».

Le déni du racisme et de l’islamophobie

Le plus inquiétant dans cette affaire de consultant externe, ce n’est pas tant l’engagement d’un néo-nazi par un gouvernement valaisan qui en compte déjà un sympathisant dans ses rangs, que le fait que les propos que tient ce personnage sont d’ores et déjà en relative adéquation avec la politique répressive menée par la Suisse et le Valais à l’encontre des migrants non-Blancs. L’autre point très préoccupant est que l’indignation médiatique et politicienne suscitée par la vidéo se fonde presque exclusivement sur certains extraits dans lesquels le businessman San Giorgio plaide l’eugénisme à l’encontre des « Européens » que le capitalisme a fragilisés à l’extrême, notamment les malades et les handicapés. Le fait que dans le même passage de cette vidéo on peut entendre les deux protagonistes défendre une solution qui consiste à tirer à la mitraillette sur des boat people qui traversent la Méditerrannée n’a par contre pas ému les commentateurs.

Le Nouvelliste par exemple, qui avait pourtant sous la main la transcription intégrale du passage en question, a sciemment choisi de n’en tirer que l’extrait où ce sont les « Européens » qui sont visés, et n’a pas jugé bon de citer celui où San Giorgio se réjouit que des « bastonnades » commencent à avoir lieu en Suisse contre les migrants. Cette catégorie des « migrants » doit d’ailleurs être immédiatement précisée, car il découle clairement du visionnement de la vidéo que c’est l’immigration des Noirs et les Arabes qui est prioritairement visée au titre des « risques » soi-disant encourus par les « Européens », et qui est rendue responsable de tous les maux causés par un capitalisme de plus en plus destructeur. A lecture du quotidien, on apprend sobrement que ce survivaliste défend « une vision très sombre de l’avenir », alors qu’il s’agit d’une justification extrêmement brutale et à peine anticipée d’un fascisme qui est notre présent et qui est le résultat de politiques étatiques défendues à droite comme à gauche. Le ministre Freysinger y voit pour sa part un propos « plutôt ambigu ». Cette lecture sélective de la part des médias et des politiciens valaisans en dit long sur le refus de voir et de nommer le racisme, et l’islamophobie en particulier, et donc sur leur complicité avec des propos qui ont pour fonction de créer les conditions idéologiques d’un pogrom contre certaines populations migrantes déjà érigées en boucs émissaires.

Ce déni du racisme et de l’islamophobie, l’1Dex l’a poussé jusqu’à la perversité [17], en prétendant résumer le passage incriminé de cette vidéo tout en n’en citant qu’une seule phrase, laquelle a de plus été tronquée pour en inverser totalement le sens : la formule essentialiste et aryenne utilisée par San Giorgio, « l’Européen », a été remplacée sous la plume de Riand par « les êtres humains », transformant ainsi un postulat néo-nazi en un plaidoyer humaniste. Pendant ce temps, le conseiller en communication qui est responsable de la présence de ce consultant externe à la conférence de presse qui s’est tenue sous l’égide de l’Etat du Valais continue d’être rédacteur invité du blog 1Dex et du nouveau magazine du même nom.

Pour terminer sur une note plus optimiste, voici un lien qui montre que la mobilisation contre le racisme anti-musulmans s’organise en Valais aussi :

Collectif VIVE – Valaisan-ne-s contre l’interdiction du port du voile à l’école

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