Communiqué de presse :
Des raisons juridiques, humanitaires et politiques imposent le refus de l’extradition et la libération immédiate de Mehmet Yesilçali
Genève le 24 août 2015
Il y a près de cinq ans, l’opposant politique de Turquie, Mehmet Yesilçali, obtenait le statut de réfugié politique en Suisse.
Ses motifs d’asile sont aujourd’hui invoqués par l’Allemagne pour demander son extradition afin de le juger pour son activité politique.
100 personnalités et 29 organisations de la société civile suisse et internationale ont soutenu un appel à l’attention des autorités suisses pour qu’elles refusent cette demande d’extradition et libèrent immédiatement Monsieur Yesilçali.
Jean Ziegler, Carlo Sommaruga, Luc Recordon, Yvonne Gilly, Jacques Neyrinck, Marina Carobbio, Balthasar Glättli, Remy Pagani, Hans-Ulrich Jost, Michael Löwy et Catherine Savary figurent, entre autres, parmi les signataires.
La Ligue Suisse des Droits de l’Homme, les Juristes démocrates suisses, les Juristes Progressistes Vaudois, l’Association des Juristes Progressistes de Genève, le CETIM, Solidarité sans frontières ainsi que le syndicat UNIA Genève sont parmi les organisations soutenant l’appel.
Le nombre de signataires n’est pas sans rappeler l’article 129b du Code pénal allemand, à la base de la demande d’extradition.
Cette disposition réprime les personnes étant accusées d’être membres d’une organisation étrangère faisant du travail politique, même légal, sur le sol allemand même si ledit travail est destiné vers leur Etat d’origine. En réponse aux demandes des autorités turques, l’article 129b est fréquemment invoqué par les Magistrats allemands pour s’en prendre aux organisations d’opposants de Turquie. Cette disposition suscite d’ailleurs un très vif débat parmi les magistrats, académiciens et politiciens allemands.
Les reproches formulés à l’égard de Mehmet Yesilçali portent sur son activité politique, qui s’est essentiellement déroulée en Suisse, laquelle ne peut pas fonder une demande d’extradition en application de la Convention européenne sur l’extradition. Par ailleurs, le Ministère public de la Confédération a expréssement reconnu que les faits reprochés à Monsieur Yesilçali n’ont donné lieu à aucune procédure en Suisse.
Enfin, le dossier fourni par l’Allemagne a été essentiellement constitué sur la base des informations fournies par la Turquie. Il ne contient aucun fait concret pouvant fonder une responsabilité personnelle de Monsieur Yesilçali dans la commission d’une infraction. Il se base en revanche sur des déclarations obtenues sous la torture en Turquie, qui devraient être retirées du dossier.
Pour ces raisons, la Coordination romande pour la liberté de Mehmet Yesilçali poursuivra sa campagne pour que les autorités suisses refusent d’être complice de la répression des opposants politiques résidant sur son sol et convoque un rassemblement à Genève en date du 2 septembre 2015, à 18h30, place de Neuve.
Déclarations à la conférence de presse du 24 août 2015
Joe Daher, Coordination romande pour la liberté de Mehmet Yesilçali : « Il faut s’opposer aux campagnes de représsion et de criminalisation des opposants politiques menées par l’Etat turc, en Turquie et à l’étranger. Le cas de Mehmet s’intègre dans ces politiques. Défendre les droits de Mehmet Yesliçali c’est défendre les droits démocratiques de tous les opposants ».
Zelal Nazli, représentante de la Confédération des travailleurs de Turquie en Europe (ATIK) : «ATIK est une organisation qui existe depuis 1986. C’est une association active en Suisse et en Europe. Nos activités sont publiques, transparentes et ouvertes au public. Nous avons toujours demandé et reçu les autorisations pour nos activités. Si on vise nos militants c’est car nous soutenons l’opposition démocratique au Gouvernement de Turquie. En s’en prenant à nous, on vise à affaiblir le soutien international à l’opposition ».
Hüsnü Yilmaz, avocat de Mehmet Yesilçali pour la procédure d’extradition : « La procédure actuelle est nouvelle pour la Suisse en ce sens qu’elle prend comme cible une organisation, Parti communiste de Turquie- Marxiste-léniniste, qui existe depuis 1972 et qui n’est pas dans la liste des organisations terroristes de la Communauté européenne. Il n’existe pas non plus de procédure en cours contre cette organisation. Dans le cadre de la présente procédure, la justice allemand prétend qu’ATIK serait une « organisation d’écran » du TKP-ML. La preuve d’une telle allégation serait un rapport de police. Ensuite, le mandat d’arrêt allemand se base sur des prétendues actions armées qui seraient commises par l’aile armée du TKP-ML, actions qui ressortirait de la presse et des sites internet. Ainsi, le dossier présenté aux autorités suisses ne contient aucune accusation concrète à l’encontre de M. Yesilcali. Ce mandat d’arrêt est à 100% identique aux actes d’accusation préparés par la police politique de Turquie, qui sont ensuite signés par des Procureurs avant d’être envoyés au Tribunal. Comme la justice turque, les autorités allemandes remettent en cause l’organisation des soirées, concerts, panels, conférences et séminaires publics avant de développer des hypothèses sur le fait que ces activités auraient peut-être servi à recruter des nouveaux militants. Ainsi, tous les opposants politiques, les réfugiés de Turquie deviennent une cible potentielle eu égard à l’article 129b du code pénal allemand. Nos libertés d’association, de réunion, de manifestation, d’opinion sont en danger. M. Yesilcali est poursuivi pour son engagement politique. Les faits qui lui sont reprochés sont en lien direct avec cet engagement. Dans de tels cas, les demandes d’extradition doivent êtr rejetées selon la Convention européenne sur l’extradition. Dans le cas contraire, la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 n’aura plus aucun sens. En effet, l’Allemagne pourra, en lieu et place de la Turquie, réclamer les opposants politiques qui sont susceptibles de créer une opposition forte à l’encontre du régime en place. Le cas de M. Yesilcali est un défi pour la Suisse en ce sens qu’elle est devant un choix : être complice de la transition du réfugié, par un simple jeu de pouvoir, en un criminel ou la sauvergarde des acquis internationaux. Nous avons la conviction que le Tribunal pénal fédéral sera attentif aux nombreuses irrégularités de la procédure allemande ainsi qu’aux enjeux politiques qui sont derrières la demande d’extradition de M. Yesilcali et qu’il rejettera cette demande».
Olivier Peter, avocat de Mehmet Yesilçali pour la procédure de mise en liberté : « Si le droit suisse prévoit la possibilité de libérer les personnes atteintes de troubles psychiques, le droit international l’impose. À défaut, la Suisse prend le risque de se faire condamner par la Cour européenne des droits de l’homme. Monsieur Yesilçali souffre d’un trouble de stress post-traumatique et ne présente aucun risque de fuite. Rien ne justifie qu’il soit maintenu en prison au détriment de sa santé ».
Rappel des faits
Asile
Mehmet Yesilçali est un opposant politique au régime en place en Turquie. Il a été brutalement torturé par les forces de l’ordre de ce pays et a été détenu durant huit ans, avant de se réfugier, en 2007, en Suisse. En 2010, en raison persécutions subies par les autorités de Turquie, Monsieur Yesilçali a obtenu le statut de refugié en Suisse.
Extradition
Mehmet YESILÇALI a été arrêté en avril 2015, à la demande des Magistrats allemands, agissant en étroite collaboration avec les autorités de Turquie, pour violation de l’art. 129b du Code pénale allemand. La détention extraditionnelle a été prononcée par l’Office fédéral de la Justice. Le 16 juin 2015, l’Office fédéral de la Justice a accepté l’extradition, en considérant que les violations des droits fondamentaux invoqués par les avocats de Monsieur Yesilçali, notamment l’utilisation de déclarations obtenues en Turquie sous la torture, seraient examinés par les autorités allemandes dans le cadre de la procédure au fond. Le 17 juillet 2015, Monsieur Yesilçali a fait appel au Tribunal pénal fédéral (TPF) et attend une décision à ce sujet.
Etat de santé
Les tortures et l’emprisonnement subis ont sérieusement affecté l’état de santé de Mehmet Yesilçali, qui en souffre encore.
Des certificats médicaux produits par la défense et non contestés par l’Office fédéral de la Justice attestent de l’existence d’un « trouble de stress post-traumatique » en raison des mauvais traitements subis. En mai déjà, son médecin traitant relevait qu’il était probable qu’une détention préventive prolongée puisse « détériorer d’avantage » l’état de santé de Monsieur Yesilçali.
Malgré l’aggravation de l’Etat de santé, l’Office fédéral de Justice a toutefois refusé de mettre en liberté Monsieur Yesilçali. La décision a fait l’objet d’un recours, actuellement pendant devant le Tribunal pénal fédéral. L’évolution négative de l’état de Monsieur Yesilçali constatée par les médecins pénitentiaires a contraint les autorités à le transférer à la division cellulaire de l’Inselspital de Berne, le 21 août dernier.
Contexte
La procédure d’extradition de Monsieur Yesilçali intervient dans le cadre d’une vague de repression contre les opposants en Turquie. Des centaines de militants politiques ont été arrêtés en quelques semaines. Les maires de plusieurs villes du Kurdistan turc ont été arrêtés avec l’accusation d’essayer de « détruire » l’unité nationale. Des représentant du gouvernement demandent de haute voix la mise hors-la-loi du parti d’opposition HDP, expression de la gauche démocratique turque et kurde. La diaspora européenne composée des refugiés politiques ayant fuit la représsion d’Ankara dénonce activement ces faits auprès des institutions et des organisations européennes des droits de l’homme. Pour cette raison, le Gouvernement de Turquie poursuit les opposants à l’étranger.
Contacts
Hüsnü Yilmaz, avocat de Mehmet Yesilçali – 021 601 71 61
Olivier Peter, avocat de Mehmet Yesilçali – 022 908 15 00
Joseph Daher, Coordination pour la libération de Mehmet Yesilçali – 078 653 64 57
Coordination romande pour la libération de Mehmet Yesilçali