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Retour critique sur un été antifasciste

À Genève, lors de la dernière fête de la musique, un copain s’est fait poignarder par un néo-nazi. Quelques semaines plus tard, c’est un barbecue organisé en région genevoise par des groupuscules d’extrême-droite de France voisine qui a défrayé la chronique. Les nazillons, qui se montraient discrets ces dernières années, ont donné l’impression de sortir de l’ombre en l’espace de quelques jours. Ces évènements ont marqué, à Genève, le début d’une effervescence sans précédent autour de la thématique de l’antifascisme – qui fait évidemment plaisir à voir. Cependant, ils ont également fait ressurgir ce que l’antifascisme traîne de pire et de plus réac’ derrière lui. Peut-être est-il utile de prendre un peu de recul pour reconsidérer ces évènements avec un oeil critique pour ne pas tomber dans les nombreux pièges du milieu « antifa ».

Frontisme et virilisme

La situation a changé d’un coup : l’agression frontale d’un camarade marquait le début d’une sorte de guerre, non plus un cyber-affrontement ni une joute verbale, mais un vrai risque pour notre intégrité physique, pour nos vies. Un copain aurait pu mourir : le problème des groupuscules néo-nazis devenait soudain concret. Pendant quelques semaines, la presse en a fait ses choux gras et on s’est activés autour du problème : manifestation de soutien au copain blessé, organisation d’un « Antifa action day » en réponse à l’organisation d’un barbecue néo-nazi en région genevoise, tags, diffusion d’informations personnelles sur l’agresseur, etc. Sans prendre vraiment le temps de réfléchir aux tenants et aboutissants de tout cela, sans remettre en question la lutte dite « antifasciste » et les problèmes qu’elle peut engendrer.

Un certain nombres de choses m’ont choqué dans la réaction que certains pans du mouvement antifa ont pu avoir. Notamment, d’un coté, l’aspect « baston virile », où l’on entend la principale voie de lutte contre le « fascisme » se mène à coup de battes et de poings américains, comme on chercherait à se prouver qu’on a les plus grosses couilles, dans une sorte de surenchère de radicalité mal digérée (et ceux qui proposent de lutter sur un terrain qui ne se base pas sur la confrontation physique sont relégués au statut de « hippie »). De l’autre, et souvent venant des mêmes personnes, on rencontre cet espèce d’antifascisme frontiste qui propose, prétextant l’importance de faire face à l’extrême-droite, de s’allier à toutes sortes de forces réactionnaires : associations citoyennes moralistes, gauche-caviar, voire même nous en référer à l’état et à ses lois « antiracistes », tout ce qui n’est pas d’extrême-droite étant potentiellement un allié momentané dans la lutte. Comme si nous devions « oublier » nos « petits différends » pour s’unir contre la menace « prioritaire » de l’extrême-droite. C’est sans doutes là la pire conséquence du fascisme, en fin de compte : inciter les mouvements à conclure des alliances de classes, à enterrer la hache de guerre avec nos ennemis au nom d’une soi-disant cible commune.

Du fascisme au quotidien

Bien sûr, nous sommes forcés de prendre en compte qu’une bande de gugusses qui n’ont l’air d’exister que pour « taper du gauchiste » s’est installée à Genève, parce que cela touche à notre sécurité individuelle. Leur menace n’est toutefois pas politique : ils sont peu nombreux, dénués d’idées et détachés de la réalité sociale, en tout cas, ils ne sont pas ancrés du tout dans la vie genevoise. Il n’ont pas de lieux publiques, de maisons officielles ou de locaux, ils n’appellent jamais à aucune action à l’avance de peur de se faire emmerder, bref, leur présence politique à Genève consiste à provoquer la CICAD (toujours bonne à faire des scandales et leur filer un coup de pub dans la foulée) ou à taguer des croix celtiques devant nos squats pour tenter de nous effrayer. Ils n’ont aucune sorte d’influence sur la politique genevoise ou sur nos conditions d’existence.

Alors n’allons pas crier au loup trop fort parce les fafs font un barbecue dans la campagne genevoise (barbecue qui n’a même pas eu lieu en Suisse, au final). Combien de fois aura-t-on entendu dire qu’on assiste à une « montée du fascisme », « bruits de bottes » et tout le vocabulaire antifa de base qui s’en suit ?

Si bruit de bottes il y a, il réside d’abord dans la restriction de nos libertés (ex : durcissement du droit de manifester à Genève), dans l’accroissement continu et la développement de notre surveillance (caméras de sécurité, passeport biométrique, prise d’ADN qui se généralise), dans le durcissement des lois sur l’asile, dans l’aggravation de la condition des migrants et le racisme institutionnel, dans la généralisation de l’acharnement envers les musulmans ou les juifs, dans la formation de milices citoyennes qui s’attaquent à la petite délinquance des pauvres (dans lesquelles on retrouve d’ailleurs les fafs eux-mêmes), dans le mépris des luttes féministes et la régression en matière de droit des femmes, dans l’engouement de certains pour un retour la famille traditionnelle, dans les attaques répétées envers les homosexuelLEs, bref, tout désir d’évacuer les « anormaux » et d’en revenir à une société « droite », « pure », sans rien qui ne dépasse des normes imposées. Une société de contrôle, de répression, de « sécurité », que l’on subit tous les jours.

Et j’en passe. C’est ce fascisme-là que nous subissons au quotidien et qui va en s’aggravant.

Si bruit de bottes il y a, il y a longtemps qu’il résonne dans nos oreilles et qu’on fait semblant de ne pas l’entendre.

De la lutte des classes

S’attaquer donc aux groupuscules « fascistes » en éliminant tout aspect politique, comme on s’attaque à une bande adverse me semble aussi puéril qu’inutile. S’ils sortent du bois ces dernières années, c’est qu’on glisse vers une société de plus en plus autoritaire, raciste, sécuritaire et liberticide qui leur déroule le tapis rouge, qui leur offre un climat idéal pour se développer.

Alors polariser son combat autour de l’ennemi le plus évident, le plus grossier, la pointe de l’iceberg, c’est tomber bêtement dans le panneau. Notre lutte est bien plus globale, que nous avons à affronter des ennemis bien plus puissants et dangereux qu’une bande de gamins néo-nazis, aussi hargneux soient-ils à notre égard sur internet. Pendant qu’on s’agite après trois pékins parce qu’ils osent tenir un petit blog avec des reviews de leurs soirées païennes au coin du feu, la gauche (pour ne prendre que son exemple) – en parallèle de son minutieux travail de pacification sociale – construit des prisons, fait poser des caméras de surveillance, augmente les effectifs des flics, propose des lois visant à laisser pourrir les migrants dans des ghettos ou des centres de rétention administrative, etc. Dans l’indifférence la plus totale de la plupart ceux qui se prétendent « antifas ».

S’inquiéter d’une recrudescence de l’extrême-droite est juste, mais la véritable menace se trouve plutôt dans le terreau sur lequel les idées de ces groupuscules peuvent émerger. Pas besoin ici de s’épancher sur la situation sociale actuelle : crise oblige, il est plus facile (et plus judicieux pour la bourgeoisie) de remettre la faute sur un ennemi désigné pour ça (les immigrés, le complot judéo-maçonnique mondial, les reptiliens, que sais-je encore) que d’admettre que c’est le système économique et social que nous subissons qui nous a pourri, nous pourrit et nous pourrira la vie encore longtemps si on ne le renverse pas. Lorsque l’extrême-droite s’éprend soudainement des thématiques habituellement réservées à la « gauche » (crise, social, etc), c’est qu’elle ne fait rien d’autre que de remplir son rôle de béquille du capital, tentant d’absorber la colère de la population, d’alimenter la peur, d’étouffer les révoltes en les dirigeant vers un bouc émissaire et éviter ainsi toute révolution. C’est surtout cette capacité contre-révolutionnaire qui constitue un problème à prendre en compte, pour nous autres (bien que sous nos latitudes, on en soit pas encore là).

Il est nécessaire de lutter contre le fascisme, mais pas n’importe comment, pas en acceptant de collaborer, pas en mendiant de l’aide des institutions. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis. On est autant contre le capitalisme réformé et moralisé que nous propose la gauche, que contre le capitalisme libéral et mondialisé de la droite ou contre le capitalisme nationalisé et autarcique prôné par l’extrême-droite. On est pas antifascistes parce qu’on hait les fascistes comme on hait un gang ennemi ; on est antifascistes parce qu’on veut la guerre des classes, et que le fascisme n’est qu’une facette de ce système qu’on conchie.

Le Réveil – lereveil.ch

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