C’est une nouvelle organisation politique et sociale qui dépasse largement nos concepts occidentaux de démocratie que le peuple kurde est en train de mettre en place au Rojava (Kurdistan syrien).
Il s’agit d’un exemple concret et viable de ce qui est réalisable lorsque nous sortons de ce parlementarisme véreux figé dans la notion dépassée de l’État-Nation. Le modèle que les kurdes ont choisi est celui du « confédéralisme démocratique », version locale d’un municipalisme libertaire fonctionnant sur un système de conseils de communes autonomes (sans État central) incluant aux prises de décision les différentes composantes de la société (sous forme de comités par communes, par corps de métiers, par groupes non-mixtes féminin,…).
« Le droit à l’auto-détermination des peuples inclut le droit à un État propre. Pourtant, la fondation d’un État n’améliore pas sa liberté. Le système des Nations Unies, basé sur les états-nations a prouvé son inefficacité. Alors que les états nations sont devenus de sérieux obstacles pour tout développement social. Le confédéralisme démocratique est un paradigme social sans état, sans contrôle par un état. De la même manière le confédéralisme démocratique est l’empreinte culturelle et organisationnelle d’une nation démocratique, basée sur une participation directe et horizontale.» Abdullah Oçalan
Les médias ne nous montrent que de brèves images de combats sans jamais contextualiser et sans prendre la peine de mentionner les luttes et les actions du PKK, des YPJ et des YPG. Les informations que nous recevons en occident sont imprécises lacunaires et parfois volontairement biaisées (sur le rôle de la Turquie et des États-Unis, par exemple). Le choix des médias de surreprésenter la violence dépolitise la lutte pour la construction d’une société nouvelle et sa reconnaissance.
Retour sur l’actualité récente au Rojava et dans le kurdistan Turque & quelques éléments historiques.
L’attentat de Suruç du 20 juillet 2015, où 30 manifestantEs sont mortEs alors qu’ils/elles se préparaient à aider à la reconstruction de la ville de Kobane, a été l’étincelle qui a déclenché les violences qui secouent actuellement le pays. Le PKK a repris les armes en exécutant deux policiers turques complices de l’EI et le gouvernement du président Erdogan a saisi l’occasion pour rompre le cesser-le-feu avec la guerilla kurde. Sous couvert de « lutte contre le « terrorisme » l’Etat turc coordonne une opération militaire d’envergure pour assoir sa domination sur les dissidentEs kurdes.
L’Histoire récente du peuple Kurde ne se trouve pas dans les manuels scolaires. Que ce soit en Turquie, en Syrie, en Irak ou en Iran, ce peuple a souffert de nombreuses discriminations et de tentatives d’annihilation.
Depuis la chute de l’Empire Ottoman, privé d’État par le traité de Lausanne (1923), la communauté kurde subit depuis des décennies la politique coloniale que mène la Turquie, avec des processus d’acculturation (interdiction de la langue, des chants, des plats traditionnels kurdes etc), des politiques d’assimilation, des déportations et des massacres.
En réponse à l’oppression, se développe une conscience identitaire et séparatiste chez de nombreux kurdes. Dans les années 1970, une majorité d’entre eux se ralliera sous la bannière du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d’inspiration marxiste-léniniste, car c’est la seule entité politique à offrir une alternative crédible au colonialisme.
Durant près de 30 ans, une véritable guerre civile a lieu entre PKK et l’armée régulière turque faisant près de 40’000 victimes, en majorité des militantEs et des civils kurdes. L’arrestation d’Abdullah Oçalan, leader du parti donne un coup d’arrêt à l’insurrection.
Depuis, un processus de paix s’est difficilement mis en place. Entre flambées de violences et répressions, de nombreux acteurs de la cause Kurde tentent la voie démocratique. L’enjeu, maintenant, n’est plus l’indépendance, mais l’autonomie politique de la région vis à vis de l’Etat turc. Avec le temps, les principes marxistes-léninistes ont évolué vers une ligne politique plus horizontale, et antiautoritaire : le confédéralisme démocratique. La population kurde qui a souffert de la répression ne voyant pas la nécessité de créer un nouvel État-Nation.
Le peuple kurde syrien a lui aussi été victime de nombreuses oppressions. Leur langue a été interdite à cause du programme d’arabisation de la société syrienne. Il était extrêmement difficile pour unE kurde de faire valoir son droit de propriétaire terrien ou d’avoir accès à la citoyenneté.
Avec le début de la guerre civile en Syrie, le Parti d’union démocratique (PYD, frère jumeau du PKK) chasse l’armée régulière syrienne et proclame l’autonomie du Rojava. Ses habitantEs commencent à construire une société basée sur le modèle du confédéralisme démocratique. Après s’être battuEs contre les loyalistes de Bashar el Assad, les combattantEs des YPG, des YPJ et les internationalistes des YDG-H sont en première ligne contre l’Etat islamique. La sanglante bataille de Kobane a donné une visibilité internationale à la lutte pour la reconnaissance de leur communauté.
La question kurde reste considérée par le gouvernement turc comme une épine dans le pied. En 2009 le DTP (Parti de la société démocratique) est élu au parlement turc. Il est rapidement dissout car il est soupçonné d’entretenir des liens avec le PKK. Plus de 10’000 arrestations auront lieu dans tout le pays. Aujourd’hui le HDP (Parti démocratique des peuples) fort de 13% aux dernières élections nationales risque lui aussi sa dissolution car ses partisanNEs refusent de condamner les répliques du PKK à l’attentat de Suruç.
Rien d’étonnant à ce que la Turquie se montre complaisante à l’égard de l’Etat Islamique. Ces derniers freinent le développement du Rojava. Le parti au pouvoir (AKP) du président Erdogan se frotte les mains pendant que les djihadistes font le sale boulot. Depuis les premiers combats entre EI et kurdes en 2014, l’Etat turc garde ses frontières fermées aux alliés du Rojava, tandis que la police et l’armée ferment les yeux sur les trafics clandestins des islamistes (80% de la contrebande de pétrole de l’EI passe par la Turquie).
La situation évolue maintenant rapidement. Le Rojava dérange et menace les intérêts de la Turquie, allié indispensable des États-Unis et partenaire militaire de l’Europe (à travers les traités de l’OTAN), qui soutiennent maintenant les frappes aériennes contre le PKK et ses alliéEs.
Au moment où les États-nations ont fait leur choix de sacrifier les séparatistes kurdes au profit d’intérêts géopolitiques et économiques. Les territoires récemment libérés par le peuple kurde se retrouvent isolés et menacés plus que jamais…
Une solidarité effective envers les révolutionnaires kurdes doit donc se mettre en place sans compter sur la « communauté internationale ».
Des autonomes.
Grande manifestation en soutien aux yézidis et au peuple kurde
Lundi 3 août 2015, 12h Place des Nations, Genève.
Changement de lieu de rendez-vous, 12h Parc des Cropettes, Genève