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Genève brûle?

Prise de position et analyse du RAGE

"La liberté ne s'achète pas, elle se prend"

« La liberté ne s’achète pas, elle se prend » Tête de cortège de la manifestation en soutien aux squats Rhino et La Tour, le 28 juillet 2007, quelques jours après leurs évacuations, où 1000 personnes avaient défilées et où de nombreux affrontements ont eu lieu après la tentative de réoccupation du California, aux Pâquis. Les flics étaient déjà dedans et ont copieusement gazé la foule.

Dix bombes de peintures, deux marteaux et un demi seau d’huile de vidange.

Voilà tout ce qu’il faut pour faire trembler les fondations de la République, si l’on en croit l’avalanche de réactions et la violence avec laquelle nos chers politiciens se renvoient la responsabilité de l’événement. Révolutionnaires, réjouissons-nous ! Si c’est aussi facile, le Grand Soir aura certainement lieu avant le printemps.

Mais plus sérieusement…  A chaque fois qu’un/e tagueur/euse dégaine sa bombe à Calvingrad, c’est la crise médiatique. Lors de la récente grève de l’Usine, tous les superlatifs avaient déjà été utilisés pour décrire le « chaos » laissé sur les vitrines. Nous étions curieux-euses de voir si la presse et le petit monde politique genevois trouveraient l’inventivité nécessaire à leur sensationnalisme après la Sauvage du 19, nous n’avons pas été déçuEs.

Ce soir là, vers 22h a donc eu lieu à Genève une manifestation sauvage festive et offensive. L’appel était clair. Le but : (ré)occuper la rue contre la logique marchande qui colonise chaque jour un peu plus nos vies.

Plus de 500 personnes ont répondu à cet appel et ont parcouru la ville au rythme des tags revendicatifs et des bris de vitrines de banques. Le Grand Théatre, symbole d’une culture réservée aux riches, a été copieusement aspergée de peinture et le magasin d’Eric Stauffer a eu de sérieux dégats.

Pour ce qui est de condamner, ne comptez pas sur nous.

Par contre, des questions on en a plein:

Pourquoi  y a-t-il de la place pour un opéra, mais pas pour une scène punk et subversive ?

Pourquoi des gens crient-ils au scandale en voyant une banque aux vitrines brisées et ne disent rien sur les 60 milliards que ces derniers ont volé?

Pourquoi y a-t-il de la place pour les agents immobiliers, alors que personne peut se permettre d’acheter leurs maisons?

Pourquoi y a-t-il de la place pour des chaînes de fast-food, mais pas pour des cuisines populaires?

Pourquoi y a-t-il de la place pour les riches, mais pas pour les pauvres?

Pourquoi la ville dans laquelle nous avons grandi nous chasse-t-elle du centre-ville alors qu’elle acceuille tous les pourris de la planète?

Pourquoi le profit a-t-il pris le pas sur la vie?

Pourquoi la génération de nos parents nous laissent-ils un monde de merde et s’étonnent encore qu’on crache dans la soupe?

Révolte, criminalisation et dépolitisation

Cette sauvage aura donc provoqué un petit tremblement de terre dans notre chère Calvingrad. Et comme à chaque fois, on entend les loups hurler. À droite on dénonce la « racaille » de la culture alternative et le laxisme des autorités tandis qu’à gauche, on crie au complot d’extrème-droite. Mais comme toujours on cherche à réprimer les effets sans trop se soucier des causes.

Hier comme aujourd’hui la presse et la police présentent les révoltéEs comme des individus sans réfléxion politique et n’ayant que la violence comme motivation. Pour contribuer à ce processus de criminalisation et de dépolitisation, on leur colle un nom stigmatisant: « les ultras », « les casseurs », « la racaille », « les hooligans » etc…

Une constante aussi, c’est celle des « méchants casseurs venus d’ailleurs ». Si ce ne sont pas les autonomes bernois, alors c’est le black block zurichois, ou alors peut-être la « racaille » française venue d’Annemasse. La stratégie étant de présenter les émeutierEs comme des étrangerEs violentEs et apolitiques pour zapper tout type de solidarité et de reflexion sur les événements.

When we knock at your front door…

Un autre aspect beaucoup évoqué dans la presse, c’est la consternation unanime de la ville face à « l’immobilisme » de la police. Beaucoup de médias ont utilisé le terme « d’émeute » alors qu’il ne s’agissait, il est important de le préciser, que d’un cortège. Ce dernier était certes offensif mais n’a pas donné lieu a un affrontement généralisé, avec lacrymogènes et barricades dans la ville. Ce qui serait arrivé si les forces de l’ordre avaient tenté une manoeuvre de dispertion ou de nassage. De plus, la nouvelle d’une émeute se serait rapidement répandue un soir de week-end et par effet domino, la situation aurait  pu tourner en pillage à la veille de Noël.

Face à la détermination d’une bonne centaine de jeunes motivéEs et masquéEs, cela restait pour eux la meilleure solution. Ce n’est un secret pour personne, la répression entraine la radicalisation. C’est pour éviter cette escalade dans la confrontation que la police n’est pas intervenue, permettant à Mme Bonfanti de sauver la face en affirmant (nous l’avons lue avec le sourire) que la police « n’avait pas été débordée ».

On peut néanmoins observer avec intérêt les objectifs à défendre prioritairement par la police : les rues basses, la vieille ville et eux-mêmes (le fric, l’Etat et ses chiens).

Gentrification : la fin des quartiers populaires ?

Personne ne pourra le nier, Genève a changé. Le prix du terrain augmente toujours d’avantage, avec le grossissement de la bulle immobilière et très peu sont encore les familles à revenus modestes à pouvoir habiter dans l’hypercentre de la ville. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’un grand nombre de salariéEs ont élu domicile de l’autre côté de la frontière. Leur départ laisse la place aux classes plus aisées et à la consommation qui lui correspond. Galleries d’art, bars à vins et restaurants hype fleurissent aux côtés des banques et des boutiques de mode. Plainpalais et la Jonction sont en pleine métamorphose, le tour de Saint-Gervais et des Pâquis arrivera d’ici une décénie. Ce phénomène, qui donne le ton à la transformation de notre ville a un nom : la gentrification.

« Nous prenons la rue pour qu’elle soit autre chose qu’un espace de circulation automobile et de vitrines de luxe. »

La question qui se pose est simple : quelle ville voulons-nous demain ?

Le modèle imposé par la logique économique, propre et asceptisé ne laisse aucun interstice, aucune place aux marges et met presque littéralement « au ban » de la société celles et ceux qui n’y sont pas privilégiéE. Les plus démuniEs en premier, les sans papiers et sans abris, les droguéEs et cas sociaux, puis viennent les chomeurs/euses, les apprentiEs, les étudiantEs et les artistes.

C’était aussi dans cette marge, que le mouvement squat des années 80/90 avait proliferé et que la « culture alternative », si rayonnante à Genève et dans d’autres villes européennes, avait trouvé son terreau.  Mais aujourd’hui, le manque de lieux étouffe les scènes et bientôt seulEs celles et ceux qui ont de l’argent ou des pistons pourront encore évoluer confortablement. Le « poumon culturel » a le cancer.

Et lorsqu’on vide un quartier de ses habitantEs, on y tue aussi sa vitalité. La vie de quartier propre aux quartiers populaires, où les voisinEs se rencontrent, s’organisent et s’entraident disparait avec cet exode.  Genève devient une ville où l’on s’enferme, où l’on ne parle même plus à ses voisinEs. L’individalisme prend le pas sur les solidarités et nous nous battons pour des miettes au lieu de nous organiser collectivement pour défendre nos droits.

Alors, face à cet avenir tout tracé et décidé sans qu’aucun habitantE n’ait eu son mot à dire, celles et ceux qui ont participé à la Sauvage de samedi,  ont déjà répondu à cette question :

« Nous prenons la rue pour montrer notre détermination à ne pas laisser nos vies dépendre de la logique du fric et de la rentabilité. »

La « culture lutte » n’est pas la « culture de lutte »

Dans les réactions, nombreuses ont été les prises de positions et les articles accusant à demi-mot (ou ouvertement) l’Usine ou encore le monde culturel de la ville d’être les instigateurs/trices de la manifestation. Ces dernier/ères on d’ailleurs resenti le besoin de s’en distancier.

Ce qui est assez stupide (ou volontaire par calcul) de la part de beaucoup de journalistes et de politiciens, c’est de faire l’amalgame entre les acteurs/trices culturels, la culture alternative et cette sauvage.

Si nous sommes solidaires des luttes que mène l’Usine pour sa survie, nous sommes également critiques sur sa dépendance à l’État de par ses subventions. Que cela soit clair, nous voulons des lieux et des espaces pour créer de manière différente et subversive, pas de l’argent.

« Nous prenons la rue car elle se passe volontier des subventions qui servent maintenant à faire chanter les lieux de culture alternative. »

L’appel de la manifestation est bien clair sur cet aspect : la culture alternative (ou pas) est sous tutelle et victime de chantage. C’est clairement un appel à se constituer en une force autonome et non pas alternative.

Ce texte et l’action de ce soir-là s’inscrivent dans une lutte bien plus large que la culture et les coupes budgétaires. C’est la lutte de la vie contre le profit. De l’Autonomie face à l’autorité. De la couleur contre la grisaille.

Artamis

Le site d’Artamis, fermé en 2009. Seule une partie des occupantEs ont été relogéEs, mais aucun des bars ou des salles de concerts n’ont trouvé de nouveaux lieux. À l’époque, c’est le prétexte de la pollution du sol qui avait été utilisé pour évacuer le site.

La « violence »? Parlons-en!

Le besoin de lieu est toujours criant, les ouvertures de squats toujours réprimées. Dans cette situation qui stagne, il est normal que le débat se polarise et que la jeunesse se radicalise.

La condamnation unanime des violences ne parvient pas à masquer la situation de crise que la manifestation aura permis de visibiliser. Rarement les mouvements de contestations et les acteurs des mouvements de la culture institutionnelle n’ont eu autant d’attention de la part des médias. Dimanche et lundi, dans les rues de Genève, les habitantEs, même sans se connaître, commentaient les nouvelles couleurs qui ornaient les murs, parlaient entre elles/eux et discutaient culture et politique.

Operahauskrawalle

30 mai 1980 à Zurich, une manifestation pour des espaces culturels du mouvement « zuri brännt » part en émeute. C’est « l’operahauskrawalle » où l’opéra de Zürich est caillassé par la foule. Après deux ans de lutte, le mouvement obtient l’ouverture de la Rote Fabrik.

Pourquoi des gens s’insurgent-ils pour une vitrine de banque qui vole en éclats et ne disent rien quand cette même banque cause des famines en spéculant sur le marché des matières premières?

Pourquoi toujours cette indignation sélective?

Pourquoi y a-t-il toujours des citoyennistes et des réformistes pour nous dicter comment exprimer notre colère?

Pourquoi la violence de l’oppriméE est inaceptable aux yeux des réformistes alors que celle de l’oppresseur et du système est quotidienne et mille fois plus violente?

Pourquoi est-ce que tout mouvement social se retrouve bloqué par la doctrine pacifiste?

La violence comme moyen de lutte nécessaire

La plupart des gens pensent que la non-violence fonctionne.  Comme exemple ils utilisent souvent les figures de Gandhi et de Martin Luther King. En réalité, ces personnes ont oublié l’Histoire. En Inde par exemple, la résistance à l’oppression coloniale fut très diversifiée dans ses perspectives et ses modes d’actions. Gandhi en était une figure mais le mouvement était loin d’être pacifiste dans son intégralité. Idem pour Martin Luther King dans le mouvement pour les droits civiques dont les Black Panthers formèrent l’aile radicale aux Etats-Unis.

Demandez aux Indiens ce qu’ils pensent de Gandhi, beucoup vous répondront qu’il était un collabo.

Le problème ce n’est pas l’action directe non-violente, ça ne l’a jamais été. La diversification des tactiques est une richesse. Le problème c’est que beaucoup de personnes se disant « pacifistes » ne sont pas solidaires d’actions plus radicales et militantes.

Pourtant, l’Histoire nous enseigne qu’aucun grand changement social ne s’est fait sans l’usage de la force.

La stratégie de l’Etat consiste alors -à travers les éléments les plus faciles à dompter- à contrôler la résistance pour négocier avec les « modérés » et leur donner des miettes, tout ça pour perpétuer le système actuel.

La possibilité d’agir / de contre-attaquer

Les « pacifistes » et les réformistes ont ce rôle bien défini de garde-fou de l’Etat: en censurant certaines modalités de participation des individus à la lutte, ils empêchent le mouvement d’avoir un réel impact sur la réalité sociale (pour ne pas risquer de mettre en péril la très chère paix sociale). Cela rend beaucoup plus facile le travail de contrôle des luttes par l’Etat.

La non-violence comme unique moyen d’action joue une fonction de récupération des luttes: elle nous casse les dents pour qu’on ne puisse plus mordre.

Cette nuit de fête sauvage nous aura bien démontré que plusieures tactiques peuvent coexister et que l’on peut joyeusement rendre les coups et les humilitations que nous subissons au quotidien.

« Nous prenons la rue car nous y sommes bien, nous y sommes fortes, nous y sommes solidaires. »

Bonne année 2016 à tous et à toutes, en espérant que les mauvais jours finiront.

RAGE – Réseau d’Agitation Genève

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