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1932-2012: Brochure et textes inédits

Ceux qui étaient présents hier soir lors de la manifestation l’ont probablement reçue. Pour les autres, voici la brochure sortie par le RAGE pour l’occasion:

Brochure – cliquer ici

Elle comporte un rappel des faits ainsi qu’un texte inédit, que nous reproduisons ici.

 

Rappel des faits

Dans les années 1920-1930, Genève est une ville où les luttes politiques et syndicales sont intenses. Beaucoup de journaux partisans sont vendus, notamment dans les Rues Basses, ce qui donne lieu à des combats de rue entre les différents groupes politiques. Avec la crise, la classe ouvrière s’enfonce encore davantage dans la misère. Le chômage est important, et peu de sans-emplois bénéficient d’une aide.

Comme dans les pays voisins, l’extrême-droite locale se renouvelle et l’Union Nationale (UN), devient une force politique qui compte. Les manifestations et les meetings de l’UN sont encadrées par un service d’ordre en uniforme, dont tous les membres sont officiers ou soldats.

Le début des années 1930 est marqué par le scandale de la Banque de Genève, dénoncé par le Parti Socialiste. Le climat politique est tendu, la violence verbale et la confrontation physique atteignent un niveau que les socialistes et autres bureaucrates d’aujourd’hui n’ont jamais connu.

L’UN décide d’organiser pour le 9 novembre 1932 une « mise en accusation publique des sieurs Nicole et Dicker », leaders du PS genevois, à la salle communale de Plainpalais. Devant cette provocation, le parti demande l’annulation du meeting et, dans le cas où celui-ci serait maintenu, décline toute responsabilité quant à ce qui pourrait se produire. Le Conseil d’État maintient l’autorisation du meeting fasciste.

Dans le Le Travail du 8 novembre, le parti socialiste demande « à toute la classe travailleuse genevoise de participer à une manifestation le mercredi soir 9 novembre, à la salle communale de Plainpalais ».

Le 9 au matin, Frédéric Martin, chef du Département de Justice et Police du Canton de Genève, demande au Département militaire fédéral la mise à disposition, pour un service d’ordre, de l’école de recrues III/1 qui se trouve en service à Lausanne. Le Conseil fédéral accepte.

On informe les soldats que « la Révolution a éclaté » à Genève. Quatre d’entre eux refusent d’obéir et sont immédiatement mis aux arrêts. Sous le commandement du colonel Lederrey, le reste de la troupe (30 officiers, 576 sous-officiers et soldats), arrive à Genève dans l’après-midi.

Dès 17h, la police entoure la salle communale avec des barrages. Les socialistes veulent y entrer en masse pour demander un débat contradictoire et chahuter si ça ne fonctionne pas. Mais ça ne marche pas, les barrages retiennent dehors tous les manifestantEs. La masse grossit : socialistes, communistes et anarchistes organisent la contre-manifestation antifasciste.

Vers 20h30, la foule charge un barrage et la police fait reculer les manifestants à coups de plat de sabre. Frédéric Martin se trouve alors au poste de police de la rue de Carouge et ordonne d’appeler l’armée.

A 21h15, une première colonne de soldats quitte la caserne du boulevard Carl-Vogt et se dirige vers le boulevard du Pont d’Arve et la rue de Carouge.

Sur le chemin pour rejoindre les barrages de la rue de Carouge, les soldats se retrouvent isolés et la foule les accueille à coups d’injures et de crachats pour les uns, les autres sont désarmés et leurs fusils cassés sur le trottoir. Les manifestants les appellent à se mutiner et leur lieutenant, Burnat, se reçoit quelques bonnes gifles dans la gueule. Les soldats essuient des jets des cailloux.

Le major Perret appelle immédiatement des renforts. Le lieutenant Burnat fait signe à ses hommes de se replier et demande l’autorisation de tirer au major Perret, qui lui ordonne d’attendre. Burnat réitère sa demande et, après un moment, Perret donne l’ordre.

A 21h34, la soldatesque tire sur la foule après avoir fait une sommation dont personne ne comprit le signal. On compte dix morts et soixante-cinq blessés dont trois mourront dans les jours suivants.

Le lendemain, le socialiste Léon Nicole est arrêté et l’anarchiste Lucien Tronchet est recherché. Pour la droite, la responsabilité incombe à ce premier et à son parti, qui ont perturbé l’ordre public.

Dix-huit militants et responsables des partis de gauche sont inculpés. Sept sont condamnés jusqu’à 6 mois de prison. Le conseiller d’État Frédéric Martin et les officiers qui ont donné l’ordre de tirer n’ont jamais été inquiétés.

Les syndicats genevois votent la grève le 11 novembre, à partir du 12 pour une durée de 24 heures. Le parti communiste genevois appelle, lui, à une grève politique de masse, mais l’Union syndicale suisse boycotte l’appel. L’Union des syndicats du canton de Genève donne l’ordre de ne pas manifester dans la rue. Genève se trouve en état de siège, des mitraillettes sont installées à certains croisements. Le code pénal militaire est élargi aux civils hostiles. Toutes les manifestations sont interdites et le nombre de soldats déployés atteint 4’000 le samedi 12. Le commandement de la troupe est placé sous direction des autorités fédérales.

A Berne, à Zurich et à Lausanne, des manifestation de soutien ont lieu. Partout en suisse les flics et l’Etat sont sur leurs dents.

Des milliers de personnes assistent aux funérailles de victimes.

 

Ni amnésie, ni résignation, ni collaboration

Aujourd’hui, le mémorial du 9 novembre 1932 est institutionnalisé comme un rendez-vous annuel de la gauche parlementaire, qui y voit une occasion de plus de tenir une tribune politique. Vieux trotskistes comme socialistes gauche-caviar, tous s’y succèdent pour dénoncer les atrocités de cette mise à mort de leurs camarades et verser une larme qui ne peut que faire bon effet dans leurs campagnes pour les élections. La gauche les glorifie une fois par année, pour le coté « romantisme révolutionnaire ». Ces mêmes politiciens qui tiennent le crachoir à coté de la Pierre, que diraient-ils aujourd’hui d’antifascistes prêts à se montrer violents pour perturber un meeting d’extrême-droite ?

Quand il s’agit de récupérer les mouvements révolutionnaires passés, on n’en est jamais à une contradiction près. Car le passé en tant que tel n’a aucun potentiel subversif dans la mesure où il peut être récupéré comme bon leur semble. Les fusillés du 9 novembre 1932 étaient plus radicaux, plus violents (pour reprendre le champs lexical de la gauche actuelle) ? Il n’y a qu’à prétendre que c’était un autre contexte, moins démocratique, et que maintenant la seule lutte envisageable se fait à coups de référendums et de votations. Il n’y a qu’à créer un argumentaire victimaire avec pour slogan « plus jamais ça », sans évoquer ni la lutte, ni les idées, ni les pratiques des camarades du début du siècle passé. L’important, pour les partisans de la pacification sociale, c’est qu’ils soient des martyrs, pas des activistes… A Paris, n’a-t-on pas même des rues Auguste Blanqui, Louise Michel, Commune de Paris, alors qu’il s’agissait de révolutionnaires appelant ouvertement à prendre les armes contre l’Etat et la bourgeoisie ?

Nous refusons de faire de ce rouage de la mémoire collective une kermesse dépolitisée dont le seul intérêt est de boire du vin chaud en mangeant des saucisses. Nous voulons lui rendre son caractère subversif. Sans bien sûr prétendre que le contexte politique et socioéconomique n’a pas changé depuis les années trente, nous constatons qu’aujourd’hui, les raisons de se battre ne manquent pas. Et si nous sortons dans la rue en ce soir de novembre, c’est moins pour pleurer sur des camarades fusillés que pour reprendre leur flambeau et nous attaquer à ce système qui nous oppresse.

Contre le fascisme institutionnel et le racisme

Contre un fascisme latent mais bien réel, qui se traduit par une dérive de la société toute entière vers dans un délire ultra-sécuritaire, une surveillance accrue de la population (biométrie, ADN, vidéosurveillance) et une obsession du maintien de l’ordre (par exemple le récent durcissement du droit de manifester à Genève). Face aux inquiétudes suscitées par la crise, des idées nauséabondes d’en revenir à un ordre traditionnel ressurgissent, avec tout ce qu’elles ont de plus fascisant : homophobie, sexisme, normes sociales rigides d’où rien ne doit dépasser, nationalisme…

Parallèlement, on assiste à une aggravation de la situation des migrants à tous les niveaux : durcissement répétés de lois sur l’asile, restrictions du droit de travailler pour les étudiants étrangers, projets de construction de nouveaux centres de rétentions administratifs, islamophobie, xénophobie de plus en plus décomplexée des politiciens… Le racisme n’est pas l’apanage des paysans de Suisse profonde, comme on en voit trop souvent la caricature ; il est institutionnel.

Si la réponse des politiques à la crise actuelle (et la gauche y contribue avec enthousiasme) est de l’ordre des restrictions de nos libertés et de l’instauration d’une ambiance malsaine entre suisses et non-suisses, c’est qu’on est en fin de compte pas si éloignés des années 30 que ce que l’on voudrait nous faire croire.

Contre un Etat qui tue, hier comme aujourd’hui

Aujourd’hui encore, l’Etat tue, en Suisse comme ailleurs. Par les balles de la police .On se souviendra de Carlo Giuliani, abattu par une balle durant l’anti G8 à Gênes en 2001, ou d’Alexis Grigoropoulos, assassiné de la même manière par un flic grec en 2008. En Suisse, en 2010, c’est le jeune Umüt qui sera exécuté au fusil mitrailleur par les flics après une course-poursuite sur l’autoroute, parce qu’il avait volé une voiture. Combien de migrants sont morts durant leurs déportations forcées par des « vols spéciaux » ? Combien de morts dans les prisons Suisses ? Une pensée pour Skander Vogt qui, en 2010, mettra feu à son matelas pour protester contre ses conditions de détention à la prison de Bochuz (VD) et que les matons et les flics laisseront crever d’asphyxie en rigolant.

Tous ces meurtres sont imputables à l’Etat. Peut-être moins spectaculaires, moins romantiques, moins aptes à figurer sur les feuilles de chou des trotskistes, c’est certain. Mais pas moins graves. Et surtout, ces exécutions n’ont pas eu lieu il y a 80 ans. En 1932, des recrues tiraient sur une foule de manifestants. En 2012, l’Etat n’a pas besoin de l’armée pour se salir les mains. Enfin, ceux qui n’ont pas la mémoire trop courte se rappelleront de la découverte en 1990 d’une armée secrète « P-26 », destinée à éliminer des ennemis intérieurs, en cas de révolte sociale risquant de mener la suisse au socialisme. Ennemis intérieurs dont la liste était déjà établie…

Il est peut-être temps de se rendre compte qu’on a l’air un peu stupides, avec notre « plus jamais ça ». Hier comme aujourd’hui, l’Etat n’a pas d’autre but que de garantir le maintien du système capitaliste et des privilèges de la classe dominante, et ce à plus ou moins n’importe quel prix.

La mémoire est un rouage important des luttes, à condition de ne pas considérer le passé comme une image figée propre aux fantasmes stériles et à la récupération, mais comme un héritage à prendre en considération et à perpétuer. Syndicalistes et bureaucrates politiques, au lieu de paniquer à l’idée que d’hypothétiques éléments perturbateurs ne se joignent à leur chère manifestation annuelle, feraient mieux de s’inquiéterde la démence de cette société dont ils participent à la gestion.

Ceux qui pensent encore que la démocratie suisse nous fournit des armes adaptées pour notre émancipation se trouvent du mauvais coté de la barricade. La gauche voudrait nous voir rentrer dans le moule de la bien-pensance citoyenne (« ne vous révoltez pas, votez ! ») pour maintenir la paix sociale et étouffer tout espoir de voir ce monde changer, assurant au capitalisme un avenir radieux.

Mais nous sommes irrécupérables.

La rage au coeur, la lutte continue !

Réseau Antifasciste Genève

Novembre 2012

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